La maison Huysmans à Solesmes
Me voici face à l’imposant monastère bénédictin Saint-Pierre de Solesmes, abruptement qualifié de « caserne » par notre écrivain. J’entre dans le magasin de l’abbaye, en fais un tour rapide, m’adresse au moine qui siège à l’accueil et lui explique, un peu naïvement, que je suis ici sur les pas de J.-K. Huysmans. C’est un religieux d’un certain âge, voire d’un âge certain, cheveux blancs et coule noire. La discussion s’engage et rapidement il m’apprend qu’existe une « maison Huysmans » à Solesmes. Je lui fais part de mon étonnement en lui demandant s’il ne confond pas avec celle, bien connue, de Ligugé. Mais non, il s’agit bien d’une maison située à Solesmes, précisément dans les dépendances de la clôture. Inouï ! Jamais je n’ai lu mention de celle-ci, pas même dans Itinéraires huysmansiens, petit index des logis de J.-K. Huysmans (1933) de Gabriel-Ursin LANGE, petit recueil a priori exhaustif*. Malheureusement son accès n’est pas possible au tout venant et mon interlocuteur ne peut m’y conduire, étant de service au magasin jusqu’à 19h00. Absolument ébaubi d’apprendre l’existence de ladite maison, je laisse mon adresse mél au moine, lui priant de bien vouloir m’envoyer des photographies de celle-ci dès qu’il le pourra. Percevant très certainement l’état d’excitation qui m’anime, il réfléchit et me propose de m’y mener après son repas. Rendez-vous est fixé à 19h30 précise devant le monastère.
A l’heure prévue, une poterne s’ouvre dans la muraille, le moine me fait entrer dans les jardins alors que sort un autre religieux par le portail principal. « La maison Huysmans, me dit-il, peu de gens la connaissent. J’en ai parlé au frère archiviste, celui que vous venez de voir sortir ; même lui a dû réfléchir pour s’en rappeler. » Nous empruntons un chemin de gravier courant dans un grand parc constitué de vastes espaces engazonnés, ornés de massifs taillés géométriquement et bordés de rangées d’arbres. Nous marchons d’un bon pas, tout en devisant des raisons de mon intérêt pour J.-K. Huysmans et de cette fameuse maison. Dans un coin du jardin, nous voici face à quelques bâtiments, visiblement peu fréquentés. « La maison Huysmans » m’entends-je dire devant une petite construction décrépie et recouverte de végétation sauvage. Le moine sort une clé des manches de sa coule et ouvre, avec quelques difficultés, une porte qui résiste. Une seule pièce, deux portes, autant de croisées, emplie d’objets divers, visiblement un lieu de stockage. « Il y a quelques années nous avions pensé la démolir, mais finalement on s’en sert encore pour stocker des choses ». Je prends donc quelques photos de la maison et de ses commodités. Puis nous repartons, reprenant notre conversation à bâtons rompus, ambulant dans les jardins. Le moine m’entretient de la « véritable épine de la couronne du Christ » détenue au monastère, des mensonges de Zola qui, ayant assisté à des miracles à Lourdes, ne voulut jamais les avouer et de la sincérité de J.-K. Huysmans qui, lui, les reconnut (Cf. Les Foules de Lourdes (ch. V), 1906). Ce moment, absolument délicieux, à écouter le saint homme exprimer toute sa ferveur religieuse, est malheureusement interrompu par le son des cloches qui, annonçant les complies, me font ramener à la porte franchie une heure plus tôt. Depuis ce jour je n’ai plus revu le frère R., mais ne désespère pas reprendre cette conversation dès que les circonstances le permettront.
J.-K. Huysmans séjourna-t-il dans cette maison ? Y dormit-il ? Y écrivit-il ? Je n’en sais rien, et finalement peu importe ; l’essentiel aura été cette rencontre inattendue.
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* Les extraits suivants confirment que cette maison accueillit bien J.-K. Huysmans :
« Je suis installé dans la petite maison que vous avez vue, en face de la maisonnette du P. Mocquereau ; et j’ai travaillé beaucoup ces jours-ci, dépouillant le Spicilegium Solesmense et les Analecta de dom Pitra. J’y ai trouvé tant de documents que me revoilà encore un travail sérieux sur la planche, pour mon malheureux livre [La Cathédrale]. » (Joris-Karl Huysmans, lettre à l’abbé Gabriel Ferret, 28 juillet 1897) – mise à jour le 7 décembre 2021
« Je suis depuis 2 jours, installé dans ma petite maison de l’an dernier et j’y vis tranquillement, travaillant avec des livres introuvables autre part. » (Joris-Karl Huysmans, lettre à Julie Thibault, 27 juillet 1897)
« [A Solesmes]… il y a une petite maison pour lui. Il y est comme chez lui. Très bien accueilli ; on voudrait l’y fixer. » (Auguste Prénat, notes personnelles prises après sa première rencontre avec Joris-Karl Huysmans, 17 septembre 1897)